Un appartement miteux.
Le papier est bleu, avec comme motifs de petits avions rouges. Deux
personnages, écrasant les scolopendres, vivent ici. Dans la pièce règne un
désordre monumental au sens propre du terme. Un vieux transistor émet un
grésillement désagréable. De temps à autre on entendra un râle provenant de la
salle de bain. Le plafond moisi et la moquette brûlée embaument subtilement la
pièce. Un chat très mal empaillé vient apporter la note finale au tableau.
Théophrène : et
de six !
Hyacinthe :
Moi j’en suis à dix.
Théophrène :
tu as toujours été douée.
Hyacinthe :
mais les tiens sont plus gros alors c’est la même chose.
Théophrène :
regarde, là ! Un beau petit scolopendre, je te le laisse.
Hyacinthe :
oh c’est trop gentil. Merci.
Elle réduit en
bouillie l’arthropode. Puis ils s’embrassent amoureusement.
Théophrène :
est-ce qu’on pouvait rêver mieux mon amour, ma Hyacinthe à moi, dans notre
petit nid rien qu’à nous ?
Hyacinthe :
dommage que Minou ne puisse pas en profiter.
Théophrène :
les scolopendres l’ont bouffé dès la première nuit.
Les deux :
ah, pauvre Minou.
Ils regardent le chat
empaillé avec nostalgie.
Hyacinthe :
tu as fait du bon travail.
Théophrène :
mon premier empaillage. Je dois encore m’entraîner. Ca fait quand même trois
fois que je le découds pour recommencer.
Hyacinthe :
quand on aime on ne compte pas.
Théophrène :
j’adorais ce chat. Mais ce soir, c’est notre soirée !
Hyacinthe :
oui, je t’ai préparé un plat de ma spécialité. Tu verras, c’est une recette de
famille. Je vais le chercher dans la cuisine.
Hyacinthe sort.
Théophrène fouille la pyramide bordélique contre le mur. Il en retire deux
chaises. Il prépare avec amour uncoin
pour mettre la table. Il pose les chaises face à face et au milieu un carton
tâché de gras. Le transistorcrache une
vielle chanson d’amour.
Hyacinthe revient avec
un plat.
Théophrène :
de la blanquette mon amour ?
Hyacinthe : quand
j’était petite mon papa travaillait dans une pisciculture, il rentrait tard le
soir. Il sentait très fort le poisson. Alors ma maman l’arrosait de parfum bon
marché. Il avait une drôle d’odeur mon papa.
Théophrène :
je te sers ?
Il prend la louche
pour servir et pose dans l’assiette de Hyacinthe une purée flasque et infâme.
Cette blanquette est manifestement ratée. Puis il se sert lui, deux fois. Alors
que la blanquette s’étale en faisant un bruit gluant, Théophrène a les yeux qui
brillent et l’estomac qui gronde.
Théophrène :
hmmmm !
Hyacinthe :
manges, ça va refroidir.
Théophrène :
bon appétit !
(Un temps)
Hyacinthe :
je me demande si Augustin va bien. Il faudra penser à changer son eau.
Théophrène :
je suppose qu’il doit tourner en rond dans son grand bocal.
Hyacinthe :
tu crois que les poissons rouges aspirent à la liberté ?
Théophrène :
j’ai une théorie intéressante à ce sujet. Vois-tu, un poisson rouge n’a que
quelques secondes de mémoire.Il tourne
dans son bocal, cela lui prend également quelque seconde. Or, si le poisson a
le temps de faire un tour complet, il reconnaît l’endroit alors il comprend
qu’il est dans un bocal, un espace restreint et il recommence son tourmais toujours reviendra au même point. Il se
sent enfermé. Ces poissons rouges là sont stressés et souvent sautent de leur
bocal. C’est le suicide ! Oui, c’est l’espèce suicidaire des poissons
rouges. Mais dans l’autre cas, si notre ami n’a pas le temps de faire le tour
de son bocal, il ne reconnaît jamais où il se trouve, il est perdu. Il a
l’impression de nager dans une immense étendue d’eau.
Hyacinthe :
alors celui là se sent merveilleusement libre.
Théophrène :
et non ! Car dans l’immense océan de son bocal il ne rencontre personne,
il se sent donc seul. C’est l’espèce solitaire des poissons rouges.
Hyacinthe :
c’est terrible n’y a-t-il pas de solution ?
Théophrène :
la vie d’un poisson rouge est bien triste en effet.
Hyacinthe :
je me demande si le notre est heureux.
Théophrène :
c’est vrai ça. Mais on ne peut pas vraiment lui demander.
Hyacinthe :
j’ai une idée ! Libérons Augustin !
Théophrène :
tout de suite ? Maintenant ?
On entend un étrange
cri provenant de la salle de bain, le râle d’un animal à l’agonie.
Hyacinthe :
Cela fait trois jours qu’il fait ça, je veux dire, ce bruit. Cet appel. J’en
suis sûr maintenant, il faut que nous le laissions partir.
Théophrène :
ma chérie, tu es si généreuse, si attentionnée.
Ils s’embrassent très
amoureusement sur ce fond de vielle chanson, ponctuée des râles provenant de la
salle de bain.
Hyacinthe :
il a senti que nous venions. Ne le décevons pas !
Théophrène :
tu as raison allons-y.
Ils partent dans la
salle de bain, on entend le son de quelqu’un qui sort de l’eau. Théophrène et
Hyacinthe reviennent, portant entre eux un jeune homme d’une vingtaine d’année,
il est nu et trempé. Il a l’air très glissant ; le couple doit souvent le
rattraper pour qu’il ne tombe pas. Augustin ouvre la bouche comme un poisson
qui tente de respirer hors de l’eau.
L’intérieur d’un sous-marin. Les murs métalliques sont ponctués de
boulons. Le tableau de bord est d’une étourdissante complexité : surchargé
de boutons rouges, ou verts, ou bleus. Il n’a rien de réaliste. Il y a, ici et
là, des leviers de différentes tailles dont l’utilité reste encore incertaine. Un
écran lumineux propose à voir une infinie tempête de neige.
A cour, imposant et froid, majestueux et effrayant : le périscope
est planté fermement au plafond comme un arbre à l’envers.
A jardin, une table, ou plutôt une plaque de fer épaisse et sans pied.
Elle est enclenchée dans le mur comme une carte à puce dans une machine.
Cinq barreaux de métal également montent vers une écoutille qui semble
être l’unique entrée-sortie du lieu. Dans cet endroit clos, les sons et les
bruits sont étouffés ; ils résonnent le long des murs.
Au commencement, la lumière provient d’une lanterne : noire, style
ancien, contrastant avec le décor. Dans ce halo mystique, entrent deux
sous-mariniers. Ils sont sobrement habillés. Le premier porte des lunettes
ovales, il est plutôt grand. Le second est de taille moyenne, sans signe
particulier. L’un prend place sur la table de fortune ; l’autre bidouille,
c’est le mot, les instruments de navigation. Il appui sur un bouton, lumière
plus forte.
Personnage :
Sous-marinier 1
Sous-marinier 2
I
Sous-marinier 1 : Alors ça y est, c’est arrivé.
Sous-marinier 2 : Je crois, oui.
Sous-marinier 1 : Au début j’ai cru que c’était le tonnerre.
Sous-marinier 2 : C’était peut-être le tonnerre.
Sous-marinier 1 : Ce serait arrivé comme ça alors, par en
haut ?
Sous-marinier 2 : Oui.
Sous-marinier 1 : Qu’est-ce que tu fais ?
Sous-marinier 2 : Je maintiens le cap.
Sous-marinier 1 : Où veux-tu aller ?
Sous-marinier 2 : J’en sais rien. C’est le geste. Ca donne
l’impression d’avoir un but.
Sous-marinier 1 : Si ça peut te soulager.
Sous-marinier 2 : Oui ça aide.
Sous-marinier 1 : Moi je ne sais pas quoi faire pour mieux le
vivre.
Sous-marinier 2 : On peut partager les leviers, viens.
Sous-marinier 1 : Non, non, je t’en prie. Tu les as pris en
premier, chacun son tour.
Sous-marinier 2 : Et puis ça serait bien la première fois
qu’on se disputerait pour prendre la barre. Les corvées sont plus importantes
qu’on ne le pense.
Sous-marinier 1 : Dis.
Sous-marinier 2 : Quoi ?
Sous-marinier 1 : Comment tu crois que c’est arrivé ?
Sous-marinier 2 : C’est-à-dire ?
Sous-marinier 1 : Précisément.
Sous-marinier 2 : Je crois que ça n’a rien de précis. Plutôt
quelque chose de très brut. Oui, comme ça, brutal.
Sous-marinier 1 : Raconte.
Sous-marinier 2 : Que veux-tu que je te raconte ?
Sous-marinier 1 : Ca, raconte. La brutalité, raconte.
Sous-marinier 2 : Mais je n’y étais pas. J’ai aucune idée de
la tournure que ça a prit.
Sous-marinier 1 : T’es chiant. T’as toujours été doué pour les
histoires. Quand je me suis engagé et qu’ils m’ont foutu dans cette boîte de
conserve, il y a longtemps, tes histoires ça m’a fait tenir. Je les écoutais et
je remontais à la surface. J’étais mieux, ta voix me berçait avant de dormir.
Sous-marinier 2 : Oui bah ça va. Et puis c’était surtout des
trucs à dormir debout.
Sous-marinier 1 : Dormir debout… Ici c’est pratique. Y’a pas
beaucoup de place.
Sous-marinier 2 : on dort quand même encore allongé.
Sous-marinier 1 : …
Sous-marinier 2 : A quoi tu penses ? Tu as vu la tête de
philosophe que tu fais ?
Sous-marinier 1 : Qui moi ?
Sous-marinier 2 : Qui d’autre ?
Sous-marinier 1 : Où est-ce que tu trouvais toutes ces
histoires ?
Sous-marinier 2 : Les sardines en conserve.
Sous-marinier 1 : Les sardinent en conservent ?
Sous-marinier 2 : Oui, voilà, les sardines. Elles sont comme
nous, mec, très à l’étroit dans leurs boîtes alors qu’elles ont vu le grand
bleu. Alors pour se donner du courage, elles se racontent des histoires.
Sous-marinier 1 : Comme nous.
Sous-marinier 2 : Si tu veux, oui. Et en écoutant aux boîtes,
mais attention, il s’agit pas de tout remuer et de leur faire peur, en écoutant
tu peux entendre ce qu’elles disent. Leurs récits sont superbes.
Sous-marinier 1 : C’est là que tu pêchais tout ça.
Sous-marinier 2 : Oui, oilà, c’est ça.
Sous-marinier 1 : Tu sais.
Sous-marinier 2 : Quoi ?
Sous-marinier 1 : Tes sardines ont des trucs sympas à
raconter.
Sous-marinier 2 : Les histoires des baleines sont sans doute
plus profondes mais je n’ai pas encore trouvé de baleines en boîte.
Sous marinier 1 : Alors…
Sous-marinier 2 : Alors quoi ?
Sous-marinier 1 : Bah alors raconte. Le tonnerre, raconte.
L’épée qui frappe le monde de face, raconte. Le monde qui ferme pas les yeux,
raconte.
Sous-marinier 2 : D’accord. Hum…
Sous-marinier 1 : …
Sous-marinier 2 : L’homme, tu le sais, a usé le monde. Il a
creusé profond dans la chair de terre et d’eau. Il a trouvé les veines et il a
sucé le sang visqueux de la terre. Puis, il est remonté et il a tout recraché.
Les usines et les voitures ont expiré la grosse fumée noire. Très grosse, très
noire. Et ça sentait mauvais, un truc de fou. L’homme dans un long pet
silencieux et acide a répandu le sang sombre sur la surface d’en haut et sur les
choses, et la nature.
Sous-marinier 1 : Tu racontes bien.
Sous-marinier 2 : Chut !
Sous-marinier 1 : Le sang de la terre s’est répandu à la
surface de sa peau, qui s’est nécrosé.
Sous-marinier 2 : Une coulée de boue crasseuse à emporté les
forêts dans un torrent dégoutant. Les hommes se sont réunit, de plus en plus
haut. Ils ont construit des grattes ciel immense pour échapper à la coulée de
boue du sang noir devenu brouillard.
Sous-marinier 1 : Ils ont eu le temps de construire des tours.
Sous-marinier 2 : Ils n’ont pas eu le temps. Cela n’aurait pas
suffit. Alors ils sont montés les uns sur les autres comme des acrobates
russes. Ils ont formé une longue antenne organique. Le pied de la tige s’est
asphyxié mais les hommes construisaient leur pyramide de chair et d’os quand
même, le fondement pourtant était déjà mort.
Sous-marinier 1 : Ils sont fous ces hommes.
Sous-marinier 2 : L’homme croyait en son salut, montant de
plus en plus vers les cieux, il aspirait à l’absolution divine… mais elle
n’arriva pas. La terre en colère réunit ses plus sombres nuages au dessus des
hommes et toute l’électricité du monde se déversa sur ce paratonnerre géant
fait d’eau, de mains, de bouches, d’yeux, de muscles, de cheveux, de nerfs,
d’ongles, de tendons, de sexes, d’omoplates, de canines, d’oreilles,
d’intestins, de coudes, de cerveaux, d’estomac, et de bien d’autres choses
encore.
Il suffoque et s’assoit sur le sol froid.
Tout fut brûlé, et
éparpillé : le terreau tout chaud recouvre désormais la planète et le sang
flasque est redescendu par les pores grands ouverts de la croute. L’engrais de
la bouillie de l’humanité fera repousser les forêts. Des forêts naîtront les
animaux. Des animaux naîtront les choses…
Sous-marinier 1 : Bravo, magnifique. Je t’apporte un verre d’eau.
Une enfant échouée sourit au vent salé qui joue dans ses cheveux.
Assise sur ce qui avait du être un château de sable, elle, dont l'imagination
jeune ne dessine aucun horizon mais des berges et des bords donnant sur
l'infini, elle, arbore mélancoliquement ses constellations de tâches de
rousseurs, sa peau lunaire, ses yeux turquoises. Un petit corps renferme
précieusement ce fragment d'âme. Elle respire la solitude iodée de son grand
large. Elle s'appelle Marieke, elle est déjà née, et elle attend.
L’inspecteur Déballe n’est pas
vraiment ce que l’on peut appeler un homme rangé. Il travaillait autrefois aux
archives. L’inspecteur Déballe n’a jamais été très ordonné. Ainsi tous les
papiers se perdaient, tout finissait mélangé. Suite à une semaine
particulièrement chargée pour lui, son dossier personnel s’est retrouvé alourdi
de faits glorieux et d’actions méritoires. En effet, il avait interverti les
papiers de son dossier avec celui d’un grand général, très reconnu. Le lundi
suivant son dossier fut consulté et il monta en grade.
« Monsieur, un homme comme
vous doit pouvoir exprimer pleinement son potentiel » lui avait dit le
même général, fier de trouver un homme avec qui il avait tellement de point en
commun.
Depuis ce jour, Monsieur jean
Déballe est devenu l’inspecteur Déballe. Evidemment ce genre de situation ne se
produit pas dans la réalité mais ici, il arrive parfois de drôles de choses.
Notre fameux inspecteur est
aujourd’hui chargé des missions les plus délicates, notamment celle de capturer
le terrible et insaisissable monstrerangeur.
Le monstre rangeur ne peut
s’empêcher de tout remettre en ordre derrière lui et on ne compte plus les
plaintes déposées contre lui. Il sévit principalement dans les chambres
d’enfants, les studios d’étudiants, les décharges, les ateliers d’artistes, les
sous-sols de musée, et tout autre endroit en désordre. Si certaines personnes
semblent ne pas prendre au sérieux cette menace, l’inspecteur Déballe ne compte
pas se laisser impressionner et mène l’enquête dans la plus secrète
désorganisation.
C’est le 24 avril, jour de la
saint parfait, que notre monstre, chaque année, agresse nos concitoyens de sa
fureur ménagère. Aidés par de dissidents maniaques dont Mr Propre, autre ennemi
juré de l’inspecteur. Ce dernier a donc décidé de tendre un piège au duo
criminel. Il a choisi un vieil entrepôt désaffecté et grâce à l’aide des
habitants (têtes en l’air ou bordéliques) il transforme cet endroit en
véritable capharnaüm. Le monstre rangeur ne se fait pas attendre et arrive sur
les lieux aux alentours de 10h30 du matin, mais si il a du retard ce n’est pas
grave (un monstre rangeur peut ne pas être ponctuel).
Un vieux hangars mal rangé. La lumière des hautes fenêtres l’éclaire.
On peut y trouver entre autres : des pneus ; des chaussettes
trouées ; des assiettes sales ; des outils cassés ; des jouets
cassés ; de la vaisselle cassé. Il y a des feuilles volantes, de la cire
glissante, du cambouis qui tâche et un crapaud qui crache. Une cafetière pleine
de poussière. Un matelas moisi, un canapé pourri. Des trucs des machins qui
servent à tout ou à rien. Des tapis pleins de mites, dans un coin une vieille
pipe. Etc.…
L’inspecteur Déballe sort de ce dédale et fait face au monstre rangeur
qui n’a pas très peur. Des gens sont là. Si on les connaît ? On ne les
connaît pas.
Monstre rangeur : groumpf.
Inspecteur Déballe : mains les haut, rangeur monstre.
Monstre rangeur : groumpf.
Inspecteur Déballe : Vais je te arrêter.
Monstre rangeur : groumpf.
Inspecteur Déballe : issue aucune, cerné total.
Monstre rangeur : groumpf.
Une personne de l’assistance : excusez moi… excusez-moi… je me
disais, comme ça, une didascalie ce serait pas si mal non ? Enfin je dis
ça… c’est jute une idée. Allez vous ne dites rien, je me lance.
Monstre rangeur : groumpf.
Inspecteur Déballe : mouvement stop, vous rendez.
Mademoiselle Dida : le monstre continue a faire groumpf.
Monstre rangeur : groumpf.
Inspecteur Déballe : bien armé, eau chargé pistolet.
Mademoiselle Dida : le monstre fait toujours groumpf mais son
ton varie.
Monstre rangeur : groumpf ?
Une personne de l’assistance : je ne voudrais pas déranger
mais je suis traducteur et il me semble que je pourrai donner un petit coup de
pouce. Le lecteur doit être un peu perdu.
Inspecteur Déballe : à trois compter, à trois tirer.
Le monstre rangeur : groumpf.
Monsieur Traduc : veuillez m’excusez inspecteur de vous
interrompre à nouveau mais il me semble vraiment que mettre un peu d’ordre dans
votre syntaxe aiderai à la bonne compréhension de vos propos. Votre grammaire
me semble quelque peu désordonnée. Je vous formule cette demande moi-même, et
me permet d’insister sur l’importance d’un dialogue fluide et efficace.
Mademoiselle Dida : inspecteur, vous voilà bien perturbé.
Inspecteur Déballe : pas d’embrouille, la citrouille, ou je
t’écrabouille.
Mademoiselle Dida : le monstre fait encore groumpf. C’est
parfois ennuyeux d’être la voix didascalique. On peut démissionner ?
Tous : non !
Mademoiselle Dida: la voix didascalique continue à
didascalier. Le monstre rangeur se montre d’une exquise politesse.
Le monstre rangeur : groumpf.
Monsieur Traduc : sans vouloir remettre en questions vos
valeurs, c’est avec humilité que je vous propose une conciliation qui nous
sortira de l’impasse actuelle. Une médiation positive sous le signe du respect
mutuel me semble la meilleure fin pour vous et moi.
Mademoiselle Dida : quelqu’un veut-il ramener sa fraise ?
Une personne de
l’assistance : je suis médiateur.
Mademoiselle Dida : le médiateur vient mettre son grain de
sel.
Le médiateur : je ne suis là
que pour veillez à l’intérêt de chacun.
Monsieur Traduc : ça veut dire que tu te mêle de leur ognons
quand même.
Le médiateur : alors messieurs, une médiation ?
Tous : une médiation, une médiation !
Mademoiselle Dida : l’inspecteur à la bouche grande ouverte.
Inspecteur Déballe : refuse, refuse.
Mademoiselle Dida : mon Dieu inspecteur non ! Hum,
l’inspecteur abat le médiateur d’un jet d’eau sur la moumoute. Hé, tu savais
qu’il avait une moumoute toi ?
Monsieur Traduc : la didascalie c’est toi, moi je traduis.
Le monstre rangeur : groumpf.
Mademoiselle Dida : qu’est-ce qu’il a dit ?
Monsieur Traduc : il a fit groumpf, il est énervé.
Mademoiselle Dida : attention de l’action, euh, alors, oui, le
monstre rangeur s’avance dangereusement vers l’inspecteur qui tire mais rate
son coup. Le monstre rangeur en profite pour ranger un jeu complet de boule de
pétanque qui traîne. Voilà, euh, oui, l’inspecteur contre-attaque en jetant par
terre une pile de livre de poche. Mais le monstre rangeur n’a pas dit son
dernier mot, mesdames et messieurs, rapide comme l’éclair il passe la
serpillière. L’inspecteur vide au même moment de pleins seaux de déchets
alimentaires. Un point partout. Un temps. Le monstre rangeur utilise son arme
secrète, le turbo javel. L’inspecteur contre attaque avec son célèbre dévide
ordures. Deux points partout. Tiens, les combattants s’arrêtent, ils semblent
surpris.
Militants A: Tibet libre ; Tibet libre.
Militants B: pouvoir d’achat, pouvoir d’achat.
Militants C: non à la rentabilisation de l’éducation.
Militants D: non aux reformes.
Militants E: Oui à la santé accessibles à tous.
Militants F: Non au boîtier anti-jeunes.
Mademoiselle Dida : l’inspecteur Déballe arrête immédiatement
les fauteurs de troubles aidé par le monstre rangeur qui passe le balai
derrière. Un photographe passe et prend une photo des deux belligérants qui
désormais s’entraident. La scène se fige.
Le vendeur de journaux : demandez le « rien à voir »
le journal qui montre tout. L’inspecteur Déballe sympathise ave le monstre
rangeur. Une complicité qui en dit long.
Une très vieille dame
froissée sèche sur un cintre. Elle est très âgée. Ses pieds pendants dans le
vide.
La vielle dame : Je suis bien ici. Je n’ai pas envie
d’être ailleurs. Je sèche, doucement, goutte par goutte. Ma vie fut longue et
j’ai sauté dans la grande flaque du monde. Là où il faut apprendre à nager, à
être endurant, ou couler. Le monde est partagé entre ceux qui flottent et ceux
qui coulent. Un jour le grand tas de noyés sous l’eau servira de sol à ceux qui
flottent encore. Cela peut durer longtemps. En attendant, ils s’entassent tous
au fond. Là où la lumière ne va plus. C’est infini. Moi, je sèche, goutte après goutte. J’étais
trempée ; mouillé jusqu’au cœur. Je sèche : une goutte de souvenir,
plic plic, une d’humanité, plic plic, une de souffrance, plic plic. Des
gouttes images, des gouttes sons, des gouttes qui m’apaisent. Je me vide de
moi-même ; je trouve cela reposant. Quand je pense à tous ceux qui sont
encore dans la vase, imbibé de la réalité. La terre n’est qu’un œil bleu et
marron dans un bocal de formol. Moi, j’oublie, je m’essore, je me déshydrate de
l’eau trouble des choses.
Elle se tait,
s’endort. On entend le bruit des gouttes qui quittent son corps. Elle se
réveille.
Ah, je me sens déjà plus légère. Regardez, il y a une petite
marre sous mes pieds. Vous ne voyez pas. Si, si, là. Elle a l’air profonde. Il
y a des couleurs ; et des formes. Ca brille, ça doit être précieux. Ca
m’intéresse. Je ne peux pas l’attraper. Je flotte. Pourquoi je flotte encore ?
Je me demande où… je me demande quand… tiens ça coagule en dessous. C’est rond,
je veux l’avoir.
Une petite boule
brillante et colorée est posée sur le sol, sous ses pieds.
Pourquoi je ne peux pas l’attraper !? Je veux ça, je
veux ça. Que quelqu’un m’aide ! Que mes bras poussent. Qu’ils s’allongent,
qu’ils fondent ! Ils sont trop courts, trop courts. Je ne peux pas.
Le champ de lumière
s’élargit et l’on voit d’autres personnes accrochées chacune à un cintre. Tous
sèchent, en ligne parfaite. Ils ne bougent plus. Pour eux la dernière goutte
est tombée. A leur pieds : de petites billes colorées et brillantes.
Le diable sort de sa boîte. Il parcours la rangée de cintre
et ramasse toutes les billes. Il s’arrête devant la vielle qui ne parle plus
mais pousse de petits grognements.
Le diable sorti de sa boîte : vous avez une très
belle âme madame. Permettez-moi de la prendre. Je les ramasse toutes. Votre
enveloppe humaine ne sera bientôt plus. Mais votre âme va rouler dans la
flaque.
Il sort ; noir.
La lumière revient.
Les cintres sont toujours alignés mais vide. Le diable muni de son sac de bille
descend dans la flaque : il descend dans le public. Certaines personnes,
ce soit là, recevront une bille, une âme recueillie par le diable lui-même.
Le conteur : Le porteur de lampadaire arrive en courant. Il
porte un grand, très grand lampadaire. Le porteur de lampadaire est très pressé.
Il est tellement pressé qu’il a oublié quelque chose. Ce quelque chose, ici,
là, tout autour, qui se tait pour ne pas effrayer le porteur de lampadaire.
Peut-être qu’il en laisserais tomber son fardeau et assommerais une de ces
petites choses, cachées, ici, là, tout autour. Tiens, j’en tiens une… Et il y
en à d’autres, ici, là, partout. Je crois qu’elles peuvent entendre et même
écouter.Elles peuvent voir et regarder.
Sentir et toucher. Dis moi porteur de lampadaire…
Le porteur de lampadaire : Oui ?
Le conteur : Approche un instant ta lumière. Oh !
Merveilleux ! Je savais que vous viendriez. Bonsoir. Etes-vous installés
confortablement ? Comment ça va ? Je m’appelle Oscar et vous ?
Le porteur de lampadaire : c’est que j’ai pas que ça à faire.
Le conteur : mais monsieur non plus, monsieur non plus.
Figure-toi que ce monsieur est venu de très loin pour être là ce soir. Il a
même emprunté un éléphant à un de ses amis très haut placé.
Le porteur de lampadaire : C’est que je commence à avoir mal
aux bras, moi.
Le conteur : Chut, éclaire un peu par ici. Oh, nous avons de
la chance. Ce soir est un soir très spécial. Ils sont venus nombreux, regarde.
Le porteur de lampadaire : Ca pourrait sourire un peu plus.
Le conteur : Hé, hé, ils t’ont entendu je crois. Tu vois. A
toi de jouer…
Et le porteur de lampadaire se
rappela qu’il faut, avant que chaque spectacle ne commence, allumer les
lumières. Ce cher lustre. Toutes les lampes. Nos brillantes ampoules. De longs
néons. Les petites loupiottes. De chauds halogènes. Quelques bougies. Notre
unique projecteur. Les torches…
Le porteur de lampadaire : Eh ho, je fais avec les moyens du
bord.
Le conteur : malheureusement, il fit avec les moyens du bord.
Le porteur du lampadaire : C’est ce que j’ai dit. Tu sais
c’est déjà perturbant quand tu dis ce que je fais alors si tu commences à dire
ce que je dis c’est plus la peine que je fasse quoi que ce soit.
Le conteur : ainsi parlait le porteur de lampadaire !
Le porteur de lampadaire : …
Le conteur : tu ne dis plus rien ?
Le porteur de lampadaire : je boude tiens.
Le conteur : Mais le porteur de lampadaire, malgré ses dire ne
bouda pas longtemps.
Le porteur de lampadaire : …Si.
Le conteur : A ce moment là, le public manifesta sa terrible
déception…
(Le public manifeste sa terrible déception)
Le porteur de lampadaire : bon, très bien. Mais c’est bien
pour vous que je le fais.
Le conteur : mesdames, mesdemoiselles, messieurs. Bienvenue à
vous dans ce lieu que l’on appelle le Théâtre !
Et les rideaux s’ouvrirent alors
sur une grande plaine sur laquelle poussa soudain un lampadaire.
(Le porteur de lampadaire monte sur scène et plante son lampadaire dans
le sol de la plaine.)
Et maintenant :
musique !
(Un air de musique entraînant,
puis le silence revient)
II. Connaissez-vous l’histoire ?
Le conteur : Chers amis, connaissez-vous l’histoire ?
Connaissez-vous la civilisation grecque, la civilisation romaine ?
Connaissez-vous Napoléon ? Chers amis, connaissez-vous la crise des
missiles de Cuba ? Connaissez-vous la terrible histoire du roi Henri
VIII ? Connaissez-vous la préhistoire ? Monsieur, connaissez-vous
Christophe Colomb ? Oui vous connaissez ? Madame, connaissez-vous les
croisades ? Et toi petit, connaît-tu la première guerre mondiale ?
Oui, aussi ? Nom d’un petit pois, mais le public ce soir est très
instruit. Nous avons un public exceptionnel et de grande qualité. Et bien soit.
Puisque vous connaissez l’histoire, celle des livres, celle du collège, il est
temps de vous apprendre l’histoire. Avec un petit h. Tout petit.
Connaissez-vous, jeune homme, l’histoire de l’homme sans genoux ?
L’histoire des enfants téléphériques, et des puces dynamites ?
Connaissez-vous Brigitte la marmite ? Et Sam, la webcam ? Non, vous
ne les connaissez pas ? Voilà qui devient intéressant. Connaissez-vous la
plus vielle dame au monde, celle qui s’est accrochée à un cintre pour ne plus
jamais tomber ? Il y a aussi les chat pots ; et les fourmis grandes
comme des pelotes de laine. Il y a Marine la chopine. Ah, Marine ! Sans
oubliez, l’histoire de la reine des casseroles. Oh, et la funeste histoire du
roi hautbois ? Non, toujours pas. Alors commençons par le commencement. Je
vais vous raconter l’histoire de la toute première.
La toute première fut inventée
par un très vieux maître Chinois. Il s’appelait Dig Bang.
III.
Le vieux maître : Dig Bang.
Sur la scène, entre le vieux maître Dig bang.
Dig Bang : la naissance de la tout première fut mouvementée.
Tout le monde se bousculait pour assister à sa venue au monde. La pluie, très
émue, déversa des trombes d’eau des heures durant. Le feu, s’enflamma dès qu’il
appris la nouvelle. Le vent fatigué, souffla un peu mais fut au rendez-vous. La
terre quant à elle conserva son calme habituel.
La toute première vint donc au monde
dans une ambiance explosive et joyeuse. Elle ne pleura pas. Et même si elle le
fit, les éléments faisaient bien trop de bruits autours pour qu’on entende quoi
que ce soit.
Le feu donna la vie à la toute
première.
Le vent lui donna le mouvement et
la légèreté.
L’eau lui donna le regard et la
fluidité.
La terre lui offrit la pesanteur
et le repos.
Moi, je passais par là lorsque le
feu, toujours aussi vif, m’interpellait.
Le conteur : « Hé, toi, vieillard errant », lui
dit-il.
Dig Bang : non, ce n’est pas en ces mots qu’il s’exprima. Il
me dit…
Le feu : grand maître, nous vous attendions.
Dig Bang : vous m’attendiez ? J’en suis honoré. Que
puis-je pour vous aider ?
Le feu : nous voudrions que la toute première se lève, as-tu
une idée ?
Le conteur : Alors Dig Bang tira cinq de ses cheveux, si blanc
qu’ils en étaient devenus invisibles. Il prie les deux baguettes qui le
coiffaient, les croisa et y attacha ses cinq fils. Puis il prit avec précaution
la toute première dans ses bras et lui posa un fil sur chaque main, sur chaque
genou, et sur le haut de la tête. Cela suffit. La toute première se leva
alors, et salua tous ceux qui avaient assisté à sa naissance.
(Le rideau se ferme.)
Un enfant dans le public : et après qu’est-ce qu’il lui
arrive ?
Le conteur : beaucoup de choses, très importantes. Mais tout
d’abord je dois raconter l’histoire de Simon le découvreur.
IV. Simon, le découvreur.
Le conteur : Simon le découvreur se découvrit lui-même, peu
après la venue de la toute première. C’était un garçon très curieux. Il
découvrit beaucoup de chose : les ricochets ; le lance-pierres ;
les ponts ; l’accent circonflexe ; quelques nouvelles couleurs ;
la brosse à dents et le dentifrice ; la sauce tomate…
Simon : la grasse matinée ; les patins à roulettes ;
le bricolage…
Le conteur : le barbecue ; le bateau ; les
chaussures ; la confiture...
Simon : mais la toute première, jalouse, alla voir les trois
Dieux et dit que toutes les nouvelles découvertes étaient en réalité les
siennes.
Les trois Dieux sont immobiles. Chacun d’eux ne bouge que la main
gauche, l’index de la main droite étant posé sur leurs nez respectifs.
Les Dieux : est-ce donc vrai que ces inventions sont les
tiennes ?
La toute première : oui, vrai de vrai.
Les Dieux : que Simon le découvreur soit puni pour vol de
découverte et banni sur la terre des problèmes qui nous cause tant de soucis.
Le conteur : c’est alors que Simon se retrouva sur la terre
des soucis qui leur causait tant de problème.
Les Dieux : la terre des problèmes !
Le conteur : désolé Dieux.
Simon le découvreur : je vais être banni. Mais que vais-je
faire là-bas ? Puis-je emporter des choses ?
Les Dieux : tu emporteras ton esprit de découverte, et si tu
n’as pas menti et que tu es bien Simon le découvreur tu résoudra les problèmes
de la terre des catastrophes.
Le conteur : ce serait pas la terre des problèmes ?
Les Dieux : Silence ! Les Dieux ont tranchés.
Noir.
V. La Terre que les Dieux avait raté.
Le conteur : Simon arriva alors dans un monde poubelle, un
monde décharge. Beaucoup de gens vivaient ici, et beaucoup d’enfants. Tous
avaient perdu quelque chose. Une jambe, un bras, les souvenirs, l’amour,
l’odorat, la mémoire, la respiration. Et leurs cœurs ne battaient qu’une fois
de temps en temps.
Peuple raté : Qui est-ce ? Nous ne l’avons jamais vu par
ici. Que veux-t-il ? Regardez, il est complet. Complet ? Toi pourquoi
es-tu complet ?
Simon : j’ai été envoyé ici.
Peuple raté : Il ment ! Seuls ceux que les Dieux ont
ratés sont envoyés ici. Il vient nous piéger. Méfions-nous. Rentre chez toi
étranger.
Simon : je suis venu prouver que je sais découvrir.
Peuple raté : découvrir ? Que veut-il découvrir ?
Nous sommes ici parce que nous sommes incomplet et n’avons pas le droit de
vivre dans le même monde que toi. Nous sommes l’imperfection, les prototypes.
Notre seul droit est de rester ici. Va-t-en.
Simon : que puis-je faire pour rester ?
Peuple raté : il nous manque tous quelque chose, que te
manque-t-il ?
Simon : ce qu’il manque je le découvre.
Peuple raté : abandonne quelque chose alors ?
Simon : que pourrai-je abandonner ?
Peuple raté : tes yeux ! Non, l’appétit, ici c’est un
poids. Le sommeil ! Ses tables de multiplications. Oublie pourquoi tu es
là. Qu’il oublie son monde, où il nous en parlera tout le temps.
Simon : d’accord, je vais laisser quelque chose.
Peuple raté : quel est ton choix Etranger ?
Simon : j’abandonne l’image que j’ai du monde d’où je viens.
Le conteur : et un petit globe lumineux tomba alors, tout en
haut, dans la décharge.
Peuple raté : tu es désormais le bienvenue parmi nous, toi qui
a oublié ton monde.
Le conteur : et Simon fut accepté parmi le peuple incomplet,
le peuple gruyère. Il appris petit à petit à vivre avec eux. Il appris à
connaître chaque personne, et chaque caractère. Très vite il connut leurs
désirs, leurs peines, leurs rêves. La décharge se remplissait d’objets
abandonnés par les nouveaux arrivants. Puis un jour Simon les réunit tous.
Peuple raté : pourquoi nous as-tu tous réuni ici ? Que
veut-il nous dire ? Nous t’écoutons.
Simon : j’ai découvert quelque chose.
Peuple raté : quelle genre de découverte ?
Simon : j’ai découvert une chose pour chacun d’entre vous.
Peuple raté : et quelle est donc cette chose ?
Simon : j’ai découvert comment vous compléter.
Le conteur : un murmure bruyant envahit le peuple raté.
Personne n’osait bouger. Perdu entre incrédulité et espoir, la déclaration de
Simon les figea tous en un instant. Bientôt le murmure s’éteint. Simon attendit
trois jours et trois nuits, mais le peuple raté ne bougea pas plus.
Simon : bien, il est donc temps de se mettre au travail.
Le conteur : Et Simon se retroussa les manches et fouilla
pendant un mois entier la décharge du pays raté. Il tria tout les objets, un
par un et fit un petit tas à l’avant scène. Juste devant vous, pour que vous
les voyiez bien. Il trouva un objet pour chacune des personnes vivant ici.
Lorsque les recherches furent
finies et qu’il trouva le dernier objet, il commença à réparer les ratés. Un
par un, objet par objet. Une fourchette devint une jambe. Une cuillère devint
un bras. Un bouton de manteau : un œil. Un sac en plastique : un
poumon pour respirer. Une boite à musique : un cœur. Et petit à petit les
ratés furent tous réparés.
Le peuple réparé : Nous sommes réparés !
Le conteur : un petit garçon réparé appela alors Simon de tout
en haut de la montagne raté.
Le petit garçon réparé : Voici ton monde je l’ai
retrouvé !
Simon : mon monde ? Quel monde est-ce là, ce monde dont
tu dis qu’il est le mien ?
Le petit garçon réparé : tu l’as abandonné pour nous en
arrivant ici, mais aujourd’hui je te le rend. Il est pour toi.
Simon : Merci.
Le conteur : le monde de Simon brilla dans ses mains, très
fort et tous et toutes furent transportés devant les Dieux qui depuis tous ce
temps avaient toujours l’index du bras droit collé sur le nez.
Simon : Dieux, je suis de retour !
Le conteur : et les Dieux très perspicaces lui répondirent…
Les Dieux : nous le voyons bien.
Le conteur : et les Dieux qui étaient devenus plus sage
ajoutèrent…
Les Dieux : nous nous sommes trompés. Tu as fait mille et une
découvertes pendant ton exil. Nous te dés exilons.
Le conteur : puis les Dieux s’adressèrent aux ratés.
Les Dieux : vous êtes réparés mais votre monde ne peut être
vide. Retournez-y.
Le peuple raté : Dieux, nous sommes réparés ! Et il y a
tant de choses à découvrir.
Les Dieux : vous ne le pouvez pas !
Le conteur : et le peuple raté se mit en colère.
Le peuple raté : nous sommes en colère.
Le conteur : le peuple raté fit alors sa première
découverte : le déicide. Le peuple raté attaqua les Dieux et leur arracha
les index de leurs nez.
Les Dieux : nous sommes perdus !
Le conteur : on entendit plus jamais parler des trois Dieux.
Un enfant dans le public : mais la toute première alors ?
Le conteur : mais on entendit encore parler de la toute
première.
Le soleil est accroché
très haut dans le ciel. La toute première est assise sur un gros caillou au
milieu d’une rivière. Elle est toute mouillée. L’eau claire fait briller de
nombreux petits diamants autour d’elle.
La toute
première : La pluie qui m’a vu naître m’a donné le regard. Et je vois
les autres accomplir des choses grandes et belles. J’ai reçu la beauté pour que
tout le monde me voit et me reconnaisse. Devant cette beauté, tous travaillent
à me plaire. Si j’avais demandé : « est-ce tout ? » on
m’aurai répondu que cela suffisait. Peut-être c’est égoïste, tout recevoir et
se plaindre. Seulement… Moi j’aurai aimé construire. J’aurai aimé travailler à
faire tourner le monde. J’aurai voulu porter, que ce soit de lourds sacs de
sable mouillé, ou des secrets qu’il faut garder. Je voudrais mériter. Comment
fait-elle l’eau ? L’eau, pour simplement couler. N’as-t-elle jamais envie
de tout renverser, de se renverser ? Choisir le plus dur. Elle ne sait pas
où elle va, l’eau. Je ne le sais pas non plus. Ni où elle va, ni où je vais. Je
me demande qu’elle odeur a l’horizon. Dis moi l’eau ? Veux-tu m’emmener
avec toi ? Je voudrais couler et me verser dans ton courant. Nager dans
tes soleils. Dis, emmène moi s’il te plait. Je me ferai légère, je ferai de mon
mieux pour aller le plus loin. Si je n’y
arrive pas, ce n’est pas si grave, je finirai dans la vase profonde, sale et
abîmée. Ou écrasée contre un gros rocher qui serais remonté pour voir le monde
sec. Dis, l’eau, je suis prête.
Le conteur :
et l’eau, doucement, dans un petit bruit mouillé, emporta la toute
première : loin, loin, loin. Et le gros caillou fut tout entouré de fils
argentés qu’elle avait laissé.
Ainsi partit la toute première.
Le porteur de
lampadaire : c’est bien triste.
Le conteur :
ne t’inquiètes pas je sais où elle est…
Le porteur de
lampadaire : alors ?
Le conteur :
la toute première flotta sur la rivière pendant des jours très longs et des
nuits très froides. Lorsque la rivière la déposa, elle était complètement
perdue. Et comme toutes les choses perdues, les gens oubliés, elle s’échoua sur
la terre que les Dieux avaient ratée. Mais comme cet endroit était lui-même à
l’abandon, l’eau l’avait envahi et seule la montagne des trucs et des machins
perdus et oubliés dépassait encore. La toute première se demanda alors :
La toute
première : mais où suis-je ?
Le conteur :
personne ne pu lui donner la réponse.
La toute
première : l’eau monte de plus en plus, tout va être englouti. A qui
appartiennent toutes ces choses ? Il faut faire quelque chose, je dois
empêcher ça.
Le conteur :
elle plongea et nagea jusqu’au fond où elle trouva une bonde géante. Elle tira
sur la chaîne.
Le porteur de
lampadaire : et l’eau s’échappa ?
Le conteur :
exactement.
Le porteur de
lampadaire : ça c’est l’histoire d’un certain Noé qui a je crois
construit une arche pour les animaux.
Le porteur de
lampadaire : ah ?
La toute
première : Monsieur s’il vous plait pourriez-vous finir mon histoire.
Si vous raconter tout en même temps on va s’y perdre.
Le conteur :
je vous demande pardon.
La toute première fit alors un vœu.
La toute
première : je fait le vœu que chacun de ces objets trouve un sens, que
chacun devienne utile, qu’ils vivent. Je leur laisse ma place car sans doute
ils en profiteront mieux.
Le conteur :
elle fut exhaussée. Tous les objets s’envolèrent haut, très haut, jusqu’au
dernier.
La toute
première : je suis contente, je vais rester un peu ici.
Elle s’allonge sur le
sol.
Noir.
Les objets qui parcourent le monde.
Un globe lumineux
s’allume ; il est suspendu au dessus du public. Il s’agit de la planète
Terre.
Le porteur de
lampadaire récupère son lampadaire. Il le prend sur son épaule et s’en va. Le
conteur monte sur scène.
Le conteur :
Ces milles objets parcourent aujourd’hui le monde. Vous allez bientôt les
rencontrer. Il est donc pour moi temps de partir. Je vous salue.
Il se retourne et se
met à crier :
CORDE !
Un projecteur lui
tombe sur la tête. Quelqu’un prend soin de venir ramasser le conteur et le
projecteur cassé.
Il
était une fois, un auteur. Comme tous les auteurs à l’époque, il portait une
longue barbe blanche. Il était respecté par les siens car disait-on, les
auteurs possédaient certains pouvoirs. Une nuit, un auteur se promenait sur le
bord de la rivière qui permettait à son village d’avoir toujours suffisamment
d’eau. Celui-ci vit que la surface de l’eau n’était plus lisse comme à l’accoutumée.
Elle ondulait et était devenue plus dense. L’auteur trouva une branche de
roseau et posa le bâton à la surface de l’eau. Quand il le retira, alors qu’il
s’attendait à voir les cercles qui grandissent, il vit qu’il avait laissé
l’empreinte du bâton à la surface de l’eau. Il la fixa longuement et vit que
cette empreinte, sans disparaître, était emportée plus loin par le courant. Les
auteurs ne perdaient jamais une occasion pour écrire, et ils écrivaient sur
toutes sortes de supports. Le bois, le sable, la pierre, les feuilles, mais
jamais aucun n’avait écrit sur l’eau. Réalisant alors la chance qu’il lui été
donné, l’auteur s’assit au bord de l’eau et toute la nuit durant, il écrivit
des nombreuses histoires sur la rivière. Toutes les histoires qu’il connaissait,
et celles qu’il avait lui même inventées et dont il était très fier. Puis il en
trouva de nouvelles pour l’occasion. L’une d’elle parlait d’un homme qui un
jour passerait dans son village et y planterait une fleur, une fleur nouvelle
et inconnue qui apporterait bonheur à son peuple. Les mots glissaient ensuite
lentement, plus loin en aval. Personne ne sait où se jette la rivière. Certains
disent qu’elle coule à l’envers, remontant vers sa source. Le vieil auteur ne
sut donc jamais quelle direction avait pris ses mots et ses histoires. Une
chose et sûre, c’est que trois mois plus tard, un terrible froid s’abattit sur
son village. Comme jamais on avait connu un tel gel au village, la récolte, non
protégée, fut perdue. Le peuple réclama de l’auteur qu’il utilise ses pouvoirs
pour trouver une solution. Hélas, l’auteur n’avait jamais eu de pouvoirs, il le
savait. Triste et désespéré il partit marcher le long de la rivière. Se
rappelant de la nuit où, trois mois plus tôt, il avait écrit de si belles
histoires, il pria que l’un des êtres de son histoire soit réel ; celui
qui apporterait la fleur. Il toucha l’eau mais il ne fit que de grands ronds
qui grandissent. Il resta ainsi au bord de l‘eau pendant trois jours et trois
nuits. Puis il rentra au village, coupable de n’avoir trouvé aucune solution.
Son peuple le voyant revenir l’acclama, et lorsqu’il entra au village, tous le
félicitèrent. L’auteur ne compris pas tout de suite mais on lui raconta un
étrange et heureux évènement qui s’était déroulé les jours précédents. Un
étranger était arrivé, il avait été surpris par le froid, déclarant qu’il ne
s’attendait pas à un froid pareil dans cette région. Les villageois l’avaient
accueilli, aussi miséreux étaient-ils. Lorsque le jeune étranger s’était aperçu
de leur malheur, il leur avait offert une poignée de graines. Il leur avait
promis qu’elles chasseraient le froid et ramèneraient la chaleur. Puis il était
parti. Les villageois, désespérés n’avaient plus d’autre espoir que d’essayer
les graines. Elles furent plantées et donnèrent de gigantesques fleurs. Ces
fleurs n’étaient pas seulement magnifiques, elles dégageaient une chaleur
inimaginable. Le lendemain la chaleur était revenue. On annonça à l’auteur que
l’étranger disait le connaître et qu’il aurait voulu le rencontrer. Il avait
aussi déclaré que sans les pouvoirs de l’auteur, il n’aurait pas pu aider le
village.
Depuis
ce jour, il existe un village où il fait toujours bon vivre. Certains pensent
que de grandes fleurs y poussent et apportent la chaleur. Mais une chose est sûre,
c’est que dans ce village, un auteur a découvert le pouvoir qu’il détenait,
celui des contes et des histoires.
Un auteur est sur le point de terminer sa pièce de théâtre, lorsque quelqu'un frappe à sa porte. Un livreur lui annonce qu'il a gagné un lot extraordinaire : un presse-agrumes. Dès lors, se présentent à sa porte une multitude de personnes, ou plutôt de personnages qui ont, à l'indu de tous, décidé d'intervertir les rôles.
Texte déjanté, entre théâtre et cinéma, qui conviendrait parfaitement à un film d'animation... Soyez curieux et plongez dans un univers loufoque, déstabilisant et réjouissant.
Il y a très longtemps de cela,
vivait un démon colérique. Ses yeux habitués à milles colères étaient devenus
brillant de rage, brillant comme de l’or. Il était tantôt petit, les jours
d’accalmie, tantôt très grand à cause de son énervement. La colère est un grand
vide de l’âme. La sienne cependant avait plutôt tendance à lui vider l’estomac.
Ainsi le démon aux yeux d’or mangeait énormément, et tout ce qui lui passait
sous la dent. Des années durant, il fut en colère, mangea, fut en colère,
mangea, fut en colère et mangea encore et encore. Puis un jour alors qu’il
était très en colère, il croqua si fort dans le monde qu’il en arracha la
moitié, laissant l’empreinte de sa mâchoire sur le bord des choses. Il ne resta
donc que des moitiés. Des moitiés d’arbres, des moitiés de maisons, des moitiés
d’humains, des moitiés de choses, de toutes les choses et même des moitiés de
moitiés. Et cela se propagea car même la colère du démon ne fut plus complète.
Sa faim réduite de moitié il n’avait plus faim que pour un demi-repas. Il
parcourait toujours ce qu’il restait du monde pour déverser sa rage et remplir
son estomac. Un tel changement dans le cours des choses ayant appelé des
solutions exceptionnelles, l’entraide devint complète. Alors toutes les moitiés
s’enlacèrent. Il y eut des (…) Le démon aux yeux d’or devant le spectacle
effarant de ces mélanges cocasses se mit à rire pour la première fois. Le rire
remplit l’âme. Le démon remplit son âme de rire pendant plusieurs jours et il
grandit si vite qu’il fut bientôt aussi grand que le monde. Le démon débarrassé
de sa colère et emplit de joie, s’allongea là où sa mâchoire avait arraché la
terre et la mer. Petit à petit il ne fit qu’un avec le monde, d’ailleurs il en
avait toujours fait partie. Depuis ce jour, il existe un endroit farfelu ou
chaque chose est la continuité d’une autre, et le début d’une troisième. Là, un
démon aux yeux d’or vit paisiblement, endormi contre le monde.
De tous les hors-la-loi qui ont écumé les quartiers Est, Willy Dog, dit
le chien errant, fut le plus noir, le plus acharné, le plus sanglant, le plus
recherché par l’ordre qui y perdit bien des griffes. Willy est né dans une
famille riche, bourgeoise, grasse de privilège. Un groupe d’individus
partageant un sang épais, unis par leur désir ardent du pouvoir sous toutes ses
formes. Argent, Ordre, Pouvoir : obsessions permanentes. Cette famille
répondait au nom de Lustror, et connaissait le respect du président lui-même.
Ils écrasèrent de nombreuses révoltes par le passé, beaucoup de sang a coulé sous
les ponts. Puis vint la nouvelle génération, ne se contentant pas seulement de
suivre les ordres, elle tuait pour le plaisir, ou plutôt chassait. Des
monstres, ni plus ni moins, assoiffés de sang et de meurtre. Des années de
terreur. Et puis vint Willy, dernier de la meute. Sage comme une image,
l’enfant ne parlait pas, ne bougeait pas, ne désobéissait pas et ne pleurait
jamais. Il commença par suivre ses aînés, continuellement dans leurs jambes,
témoins de leurs atrocités. Il vit périr de nombreux innocents. Cependant, il
suivait, si bien qu’il reçu le surnom de chien : « Donne la patte
chien. Sage chien. C’est bien chien. ». Idiots ont été ses frères, déjà
guerriers, de sous-estimer la colère de l’enfant. La colère était celle d’un
jeune cœur, une colère d’incompréhension, sourde, dont les battements
remplaçaient le pouls. La colère d’être né monstre parmi les monstres, et d’en
être parfaitement conscient. Lorsqu’il atteint l’âge de dix ans, chien décida
de punir. Les premières larmes versées coulèrent sur les cadavres encore chauds
de ses parents. Des larmes de joie. Willy, dans les bras de sa mère, avait
planté les crocs. Il n’avait pas lâché, et avait arraché, profondément. Puis
ses mains d’enfant s’étaient refermés, puissantes comme des étaux, vibrantes de
rage contenue, autour de son père. Ce dernier mourut avec comme dernière vision
le visage de son fils, souriant pour la première fois. Un sourire large
déformant une gueule d’ordinaire impassible. Il fuit. Chien, devint errant,
chien des rues. Pur instinct, et quand ses aînés le trouvèrent, dans les
quartiers Est, il les attendait. Willy décima sa fratrie. Un à un, dans les
rues froides, jusqu’au dernier. Ensuite, il disparut. On ne parle plus de lui
mais il est là. Il rôde. Il a grandit aussi. Les soldats ou représentants de
l’autorité qui se montrent un peu trop aventureux sur son territoire y perdent
rapidement la vie, qui s’échappe hors de leur membres dévorés. Voici
l’histoire, la légende, de Willy, dit le chien errant.